Chu de che / Je suis d'ici / Sono di qui / Ich bin von hier ! Notre liberté ne nous a pas été donnée, mais combattue et priée par nos ancêtres plus d'une fois! Aujourd'hui, comme autrefois, notre existence en tant que peuple libre dépend du fait que nous nous battions pour cela chaque jour. Restez inébranlable et soyez un gardien de la patrie pour que nous puissions remettre une Suisse libre telle que nous la connaissions à la génération suivante. Nous n'avons qu'une seule patrie!

mercredi 10 mars 2010

LA TÉLE RÉINVENTE LE JEU DE LA MORT

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Seriez-vous prêts à torturer, voire à tuer pour un jeu à la télé? Une expérience menée en France arrive à ce constat effarant: 82% des participants sont prêts à envoyer des chocs électriques mortels (480 volts) à un inconnu qui hurle de douleur. Réalisée avec un comédien pour les besoins d'un documentaire, ce jeu adapte à la télévision la célèbre expérience créée en 1960 par le psychologue Stanley Milgram. Professeur à la HEG-Fribourg, Julien Intartaglia a suivi le tournage de l'intérieur. Il raconte.

C'est un nouveau jeu télévisé. Un candidat pose des questions, tandis qu'un autre - appelons-le Jean-Paul - est sanglé dans une chaise électrique. Chaque fois que Jean-Paul répond de travers, le candidat lui envoie un choc électrique. D'abord tout petit, puis un peu plus fort... Passé les 80 volts, Jean-Paul se plaint: «Aïe, ça fait mal!» A 180 volts, il hurle et se tord de douleur. Mais les questions continuent, et les décharges aussi. Passé 380 volts, Jean-Paul ne bouge plus du tout. Pourtant, 82% des candidats envoyent encore la dernière décharge: 480 volts. Une dose mortelle. La scène s'est passée l'année dernière, en France. Jean-Paul était un comédien et ne recevait pas vraiment les décharges - mais ça, les candidats l'ignoraient. Ils ont été filmés dans le cadre d'une vaste expérience organisée par le réalisateur Christophe Nick, en collaboration avec une armada de chercheurs, dont Jean-Léon Beauvois, autorité internationale en psychologie sociale. Il en résulte un documentaire terrifiant qui révèle jusqu'où la télévision peut nous faire dériver.

L'exemple de Milgram

C'est en regardant le jeu «Le Maillon faible», où des candidats doivent s'éliminer les uns les autres, que Christophe Nick a eu l'idée de transposer dans le cadre de la télé la célèbre expérience de Stanley Milgram, menée en 1960 à l'Université de Yale. A l'époque, croyant participer à une étude scientifique sur l'impact de la douleur sur la mémorisation, «seuls» 60% des participants avaient envoyé un choc mortel... «Aujourd'hui, la télévision est devenue une autorité extrêmement puissante: elle est capable de nous faire faire des choses totalement contraires à nos valeurs.» Professeur de communication et marketing à la Haute école de gestion de Fribourg, Julien Intartaglia a vécu ce tournage hors normes de l'intérieur. Avec trois autres chercheurs, il était chargé d'accompagner les candidats avant et après leur passage sur le plateau de jeu. «Ces personnes sont des gens normaux, pas des monstres ni des salauds», souligne-t-il. «Mais on les a placés dans un contexte où il est presque impossible de conserver son libre arbitre pour désobéir.»La télé peut donc nous transformer en bourreaux? L'hypothèse paraît d'autant plus délirante que ce jeu, présenté comme un «pilote d'essai», ne portait aucun enjeu: pas de diffusion prévue, ni d'argent à gagner. Mais dans l'évolution récente de la télé, tout invite à cette dérive, écrit Christophe Nick: l'avènement de chaînes commerciales et leur concurrence à mort, la surexposition de la sphère intime et sa récupération par le divertissement, et enfin le triomphe de la télé-réalité depuis l'arrivée de «Loft Story», en 2001.

«Un terrible dilemme»

Dans le documentaire, force est de constater que la «machine» télévisuelle dicte sa loi. A la lecture des règles du jeu, les candidats, 80 personnes d'âges et de professions variés, doivent signer un contrat sans délai de réflexion. Ajoutez-y la pression des caméras, le désir de donner une «bonne image», le public qui applaudit, la présentatrice impassible aux cris du malheureux Jean-Paul... le tout sans possibilité de discuter avec les autres ou des proches. Et voilà qu'en quinze minutes de jeu, même l'infirmière se transforme en tortionnaire. «Du début à la fin, les candidats vivent un dilemme intérieur très inconfortable», note Julien Intartaglia. «Seuls face à un système implacable, ils se trouvent très vite pris dans un engrenage: quand Jean-Paul se met à crier, 70% des candidats ont essayé de se rebeller. Mais la pression est telle que la plupart sont quand même allés jusqu'au bout.» Le contexte est essentiel, ajoute-t-il: enlevez un élément, et le taux d'obéissance chuterait drastiquement. Et après? Dès la sortie du plateau, les candidats ont été pris en charge par quatre chercheurs - dont Julien Intartaglia - qui leur ont expliqué que tout avait été simulé et dans quel but. Un débriefing souvent très intense, et arrosé de larmes. «La plupart étaient abasourdis par ce qu'ils venaient de faire», raconte-t-il. «Une mère m'a demandé comment expliquer à ses enfants qu'elle vient de torturer quelqu'un?» Elle a été rassurée: 82% des gens ont fait comme elle. Au final, dit-il, la plupart étaient «fiers et contents» d'avoir appris quelque chose sur eux-mêmes.

«On a juste obéi...»

Tout est bien qui finit bien, donc? Pas tout à fait. Car là où cette passionnante exploration des mécanismes du pouvoir télévisuel reste terriblement dérangeante, c'est dans l'inévitable parallèle avec les tortionnaires, bien réels ceux-ci, des dictatures d'ici et d'ailleurs. Car là, la question de la responsabilité individuelle de ceux qui, comme nos braves candidats, n'ont fait «qu'obéir aux ordres», reste entière.

> «Le jeu de la mort», diffusion vendredi à 20 h 10 sur TSR 2, puis mercredi 17 mars à 20 h 35 sur France 2.

> Infos, forum et interviews: http://programmes.france2.fr/jusqu-ou-va-la-tele> Le livre: «L'expérience extrême», de Christophe Nick et Michel Eltchaninoff, Ed. Don Quichotte.

> «Philosophie magazine», partenaire du film, a publié un dossier spécial (4 mars).

> «Médialogues»: émissions spéciales sur la RSR, vendredi 12 et lundi 15 mars à 9 h 30.
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ANNICK MONOD